Un nouveau pacte enseignant, voilà l’idée qui secoue le monde de l’Education Nationale en ce moment. Enfin l’idée, une des idées. Et c’est l’occasion pour moi d’écrire mon premier article “politique” sur le blog. Même si j’ai longtemps hésité, syndrome de l’imposteur … je saute le pas ce matin. Car je dis #NonAuPacteEnseignant. Je vous explique pourquoi.

De l'importance des mots
Quand on s’adresse à un professeur, on doit faire attention aux mots que l’on emploie. Car les professeurs aiment les mots ! La précision du vocabulaire notamment. Et c’est sans doute le premier écueil de ce pacte enseignant. Et je passe volontairement sur le terme “enseignant” qui de fait exclut tous les autres personnels qui œuvrent à l’éducation de nos élèves, dont les AESH #coeuraveclesdoigts.
Un pacte
Tout d’abord, le terme de pacte dans l’expression pacte enseignant pose problème. En effet, pour reprendre la définition du Larousse, un pacte est “un accord solennel conclu entre deux ou plusieurs personnes”. Le dictionnaire nous donne ainsi comme synonymes : accord – contrat – convention – entente – traité. Or nous sommes tout sauf d’accord avec ce “pacte”. Nous n’avons d’ailleurs jamais signé de “contrat” ou de “lettre de mission” dans notre métier. L’occasion pour notre ministre de tutelle d’ajouter des lignes à notre to-do list interminable sans scrupule aucune.
De nouvelles missions
Mais le fait de sous-entendre que nous soyons d’accord avec cette décision n’est pas le seul dérapage lexical qui existe dans ce pacte enseignant. Car ce dernier entend “valoriser” (nous y reviendrons) l’exercice de nouvelles missions. Nouvelles ? Nous ne le croyons pas. Elles sont déjà notre quotidien, notre travail invisible en est truffé de ces “nouvelles missions”. Dire à un enseignant que ce qu’il fait aujourd’hui n’existe pas est méprisant au possible. J’ai pris le temps de lire la présentation de ces “nouvelles” missions, et je n’y vois RIEN de nouveau. Pire, j’y vois une négation de notre travail actuel ! Car ces “nouvelles missions” seraient à l’avenir proposées sur la base du volontariat. Et dire à un enseignant qui depuis le début de sa carrière voit sa lettre de mission fantôme s’allonger sans cesse que s’il veut enfin obtenir un salaire à la hauteur de ses homologues européens il devra encore faire plus est une insulte. Je n’ai pas trouvé d’autre mot.
Une augmentation ?
Du temps de travail, pour sûr. 72h de travail supplémentaire si on veut prétendre à une prime. Rien sur le salaire actuel, rien sur l’inflation, rien sur l’accès au métier, des miettes pour tout le reste.
De l'avenir de notre profession
Ce nouveau “pacte enseignant” intervient dans un contexte complexe. Malgré tous les avantages supposés de notre métier de rêve, nous n’arrivons plus à recruter. Les contractuels eux-mêmes fuient le navire, et on les comprend quand on voit comment on les traite ! Les titulaires, qui ont tenu bon jusque-là, tentent par tous les moyens de changer de voie. Non sans mal ! Puisqu’on nous refuse les démissions et ruptures conventionnelles ! Les enseignants se retrouvent piégés dans un système. Tu parles d’un bien être au travail !
Attractivité
Comment faire pour attirer de nouveaux professeurs motivés et compétents dans un tel contexte ? Les syndicats disent : le salaire. Le ministère entend : de nouvelles missions ! C’est un dialogue de sourds. Assurément. On n’attire pas les mouches avec du vinaigre. On n’attirera pas des enseignants bardés de diplômes avec un salaire faible et des missions qui se multiplient sans cesse.
Revalorisation
De nouveau, le mot a un sens ! Si l’on parle d’argent (ce qui est un peu le cas ici quand même), il s’agit de rendre à une monnaie dépréciée une partie de sa valeur. Dans le cadre de l’économie d’un pays (on est pile dedans), revaloriser signifie augmenter le montant des salaires, des retraites, etc., pour tenir compte de l’érosion monétaire. Et s’il s’agit d’une valeur “affective”, ce qui a trait à l’image de la profession, on entend par revaloriser, redonner du prestige, une valeur plus grande à quelque chose. Rien dans le mot de revaloriser ne sous-entend de contrepartie ! Ce mot contient surtout l’idée de réparation, réhabilitation, majoration.
Des mots qui blessent
La présentation de ce pacte enseignant est truffée de mots blessants. Et ce ne sont pas que des mots. C’est véritablement la façon dont notre ministère nous considère. Il “reconnaît” lui-même ne pas “identifier” ou “connaître l’ensemble des missions” des enseignants. Et cette dernière phrase qui me rend complètement chèvre : revaloriser financièrement l’engagement des enseignants œuvrant pour l’amélioration du service public rendu aux élèves et aux familles. Comme si certains enseignants n’œuvraient pas pour les élèves. Mais aussi comme si nous étions une entreprise au service des familles… Il y a un sous-entendu très fort dans ce pacte : nous sommes corvéables à merci.
Un vrai pacte enseignant
Et si on jouait vraiment et qu’on nous demandait vraiment une liste de points à améliorer ? Chiche ? Car si le salaire arrive évidemment en premier, rapidement ensuite on trouvera une amélioration significative de nos conditions d’enseignement. A commencer par des effectifs allégés ! Et une véritable politique d’inclusion qui ne repose pas entièrement sur les épaules d’AESH méprisés par les hautes sphères. Une formation aussi, qui soit moins dogmatique ! Quand je pense qu’on nous bassine en anglais sur l’intégration de la grammaire en contexte. Mes collègues de français (!!!!) n’ont pas les mêmes injonctions, hein. Et quand j’entends qu’on ne doit pas faire de “l’écrit oralisé”, qu’il est important d'”improviser” … mes collègues des autres disciplines rient ! Evidemment que les exposés en français, les élèves les apprennent ! Et par coeur en plus ! Et certains lisent leurs notes pendant l’oral du DNB.
Argh, je vois que cet article m’a mis les nerfs en pelote. Je le savais. Mais après vos retours sur notre page Facebook, j’avais besoin de l’écrire. Je vous propose d’ailleurs, un “mur des lamentations”, pour vous exprimer également. Voici un padlet à votre disposition pour y partager vos opinions sur ce pacte !
Un commentaire
Merci pour cet article Estelle. J’entame mes 10 dernières années d’enseignement… Je suis déçue de tellement de choses. Je suis élue au CA, je fais partie de la commission égalité garçons-filles, je fais partie du comité auto-évaluation du collège… tout ça bénévolement. Je fais un échange avec un collège anglais, et mes collègues anglais ont certes d’autres obligations (comme surveiller la cour pendant les 3/4 d’heures du déjeuner ou récré… une fois tous les 15 jours, rester présent au collège de 8.30 à 15.00-mais ils ont des bureaux pour travailler, et un ordi par prof… remplacer un collègue au pied levé) mais leur salaire est plus du double du mien!!
Bonne journée quand même!
Catherine